Qu’est-ce qu’une graine ? Un pépin, un noyau présent dans un fruit que l’on recrache systématiquement sans se poser la question d’où il vient, ni à quoi il sert ?

Les graines sont finalement plus importantes que ce qu’il n’y parait. Elles sont en réalité à la base de notre alimentation et un maillon capital dans le développement de notre humanité. Depuis 12 000 ans les paysans sèment, récoltent, sélectionnent et échangent librement leurs graines. C’est l’histoire de l’agriculture. Néanmoins aujourd’hui, cette pratique ancestrale est en péril.

 

Comprendre les semences paysannes

Aujourd’hui dans le monde 5 des géants de la chimie, devenus producteurs des semences, contrôlent la moitié du marché et veulent une chose : être propriétaires des semences. Pour lutter contre l’appropriation du vivant, des agriculteurs, scientifiques et élus se battent sans relâche en ayant à leur tête une femme qui a fait des semences de variétés anciennes son combat : Vandana Shiva.

A qui appartiennent les graines ? Sont-elles un bien commun de l’humanité ou une marchandise comme les autres ? Derrière nos champs de blés dorés, une image moins scintillante en est la réalité. Tout doit être catalogué, standardisé pour assurer une production sans failles, en dépit de notre richesse variétale.

Pour être mise en vente, la moindre variété doit être renseignée dans un registre : le catalogue officiel des variétés. On y inscrit leur nom, leur variété et surtout son propriétaire. En France, 9 000 variétés y sont inscrites appartenant majoritairement aux 5 multinationales (Bayer, Monsanto, Limagrain, Pioneer et Syngenta). En dehors de ce catalogue, les agriculteurs n’ont, en théorie, pas l’autorisation d’utiliser des semences de variétés anciennes. Néanmoins, tout est une question d’interprétation et d’évolution juridique.

Avant d’y être inscrites, les graines doivent passer des tests très stricts. C’est le GEVES (Groupe d’Etude et de contrôle des Variétés Et des Semences) qui donne l’autorisation à une variété d’entrer dans le catalogue des semences, permettant ainsi aux agriculteurs de la cultiver librement. Pour être homologuées, les cultures doivent être au garde à vous : pas un épi ne doit dépasser ! Mais pourquoi et comment en sommes-nous arrivés à une telle situation ? Pourquoi contraignons-nous la nature à des conditions si strictes ? Comment pouvons-nous mettre en cause ce système aberrant ? Petit retour en arrière…

L’après-guerre : le point de bascule

Après la seconde guerre mondiale, la priorité du gouvernement français était de récupérer son indépendance alimentaire pour ne plus dépendre de l’aide américaine. C’est ainsi que de nouvelles semences sont nées. Pour arriver à récolter des plantes plus homogènes et stables, dans le seul but d’accroitre la production alimentaire, il a semblé primordial de créer des semences. Ces graines appelées « hybrides » sont le résultat d’un croisement savamment étudié entre deux variétés sélectionnées selon certains critères. C’est ainsi que les semences hybrides dites « F1 » sont apparues dans les années 1950.

L’hybride F1, contrairement à l’espèce naturelle, s’autoféconde et n’a donc pas besoin d’assistants pollinisateurs comme les abeilles ou le vent. A chaque fécondation, le patrimoine génétique de la graine hybride est drastiquement réduit du fait de la consanguinité. La première génération d’hybrides F1 donne une graine très productive mais si elle est replantée à la saison suivante, le résultat sera beaucoup plus décevant. L’agriculteur est contraint de racheter chaque année ses graines hybrides pour s’assurer une récolte optimale. Il est donc dépendant des prix et variétés proposés par les industriels.

De plus, leur hypersensibilité rend indispensable l’utilisation de pesticides. Les géants semenciers qui les produisent se sont donc également mis à fabriquer les pesticides associés, créant une dépendance encore plus accrue des agriculteurs. Or, on sait notamment par le scandale lié au glyphosate, que les pesticides ont un impact dévastateur sur l’environnement, la biodiversité et également la santé humaine.

La face cachée d’une politique productiviste

Des amandiers près de Los Angeles, Californie, Etats-Unis (35°32’ N - 119°40’ O). ©Yann Arthus-Bertrand
Des amandiers près de Los Angeles, Californie, Etats-Unis (35°32’ N - 119°40’ O). ©Yann Arthus-Bertrand

Le clonage des semences a porté ses fruits : en 50 ans la production agricole française a doublé. Le peu d’agriculteurs restants est devenu six fois plus productif. Aujourd’hui, 95% des semences de maïs inscrites au catalogue sont hybrides, donc stériles. Chaque année, ce verrouillage rapporte gros à l’industrie semencière : 769 millions d’euros.

Néanmoins, la face cachée de ces graines est moins reluisante : le monopole a engendré la disparition de 75% de la biodiversité cultivée et a conduit l’agriculture dans un cercle vicieux dévastateur. Les agriculteurs ont perdu tout un pan de leur métier et sont à la merci des grands semenciers. Les semences standardisées n’ont pas la capacité de s’adapter aux différents terroirs. L’homogénéisation des graines et donc des cultures induit une utilisation massive d’intrants chimiques et de pesticides. Un champ d’une même variété ne trouvera pas l’aide d’autres variétés qui ont la capacité de lutter efficacement contre l’attaque de certaines maladies. Ceci a considérablement détruit la biodiversité, pourtant indispensable à notre alimentation. Et pour cause, depuis l’introduction des pesticides néonicotinoïdes en 1990, 75% des insectes volants ont disparu en Europe. Les semences standardisées n’ont pas la capacité de s’adapter nutritionnellement, le bilan est aussi dramatique.

On estime qu’une tomate ancienne aura la même dose de nutriments que cinq à douze tomates conventionnelles. Vitamines A et C, protéines, phosphore, calcium, fer et autres minéraux ou oligo-éléments ont été divisés par deux, par vingt-cinq, voire par cent, en un demi-siècle. Pour retrouver les qualités nutritionnelles d’un fruit ou d’un légume des années 1950, il faudrait aujourd’hui en manger une demi-cagette !

Un modèle agricole pas si étincelant…


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Un système faillible en pleine mutation

Moisson dans la Beauce copyright Yann Arthus-Bertrand
Moisson dans la Beauce copyright Yann Arthus-Bertrand

Depuis le décret de 1981 interdisant la commercialisation et la vente des semences non inscrites au catalogue officiel, une partie de la société européenne s’est insurgée de voir la quasi-totalité des semences entre les mains des grands groupes. Et pour cause, aujourd’hui les trois quarts de notre alimentation sont issus de seulement 12 espèces végétales et 5 espèces animales.

Après des années de luttes acharnées, les eurodéputés ont voté, en avril 2018, pour mettre un terme à la « criminalisation » de la semence paysanne. Votée définitivement le 2 octobre 2018, la loi EGALIM (pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), dans son article 78, autorisait quiconque à vendre des semences anciennes aux particuliers. Mais ne crions pas victoire trop vite, quelques mois plus tard, le Conseil Constitutionnel a censuré cet article 78, parmi d’autres, dans une décision du 25 octobre 2018 prétextant « des raisons de procédures ».

L’interdiction stricte d’utiliser des semences paysannes est donc à nuancer. En 2021, l’échange des semences anciennes entre agriculteurs professionnels bio sera autorisé, sous des conditions qui restent encore à définir… L’activité d’un acteur comme Kokopelli, qui regroupe un réseau de producteurs de graines (pour l’essentiel non inscrites au catalogue officiel) et les revend, sera toujours illégale.

Le combat pour les semences libres est donc loin d’être fini. Mais les mentalités évoluent rapidement et la société civile joue un rôle important dans cette action.

Le « consom’acteur », le chainon indispensable d’une lutte collective ?

agriculture urbaine collecte invendus animatrice en insertion
©Espaces

La place du citoyen dans ce combat est donc essentiel. Le consommateur peut faire des choix : s’informer, chercher à savoir d’où vient ce qu’il mange et comment cela a été produit. Nous y avons tous intérêt, pour notre santé, pour la diversité de notre alimentation, pour le bonheur de retrouver les saisons, pour le plaisir de goûter à des choses différentes, et pour faire exister la biodiversité des champs jusque dans nos assiettes !

Privilégier un approvisionnement biologique et local encourage l’agriculture paysanne et la transformation artisanale. AMAP, circuits courts, fermes ouvertes, marchés de producteurs : il y a mille et une façons d’aller à la rencontre des producteurs qui s’engagent. Cela permet de connaître les produits, les modes de culture, les choix de variétés. Cela soutient l’agriculture locale et évite les produits alimentaires importés ou hors saison. Les semences paysannes raccourcissent ainsi la distance du champ à l’assiette et maintiennent des petites fermes de proximité.

Que ce soit dans son champ, pour les paysans, ou dans un coin de son jardin, sur son balcon, dans un jardin familial ou dans une association de jardins collectifs, il est possible de cultiver des variétés anciennes, achetées auprès des associations locales telles que Kokopelli, la ferme Sainte Marthe, le Biau Germe, Germinance qui luttent quotidiennement à la préservation de ces semences.

Soutenir les campagnes en faveur de la biodiversité cultivée et des droits des paysans, comme celle d’Agir pour l’environnement et du Réseau Semences Paysannes, favorise l’émergence du sujet sur la scène politique. Interpeller les élus et diffuser l’information autour de soi encourage à démocratiser ce sujet hautement complexe.


  • Parce qu’elles seules sont actrices du maintien et du renouvellement de la biodiversité cultivée…
  • Parce qu’elles seules peuvent produire une alimentation suffisante, de haute qualité nutritionnelle et respectueuse de l’environnement pour les Hommes…
  • Parce qu’elles seules sont diverses, évolutives et donc adaptables sans engrais et pesticides chimiques à la diversité des terroirs, aux pratiques paysannes et au changement climatique…
  • Parce qu’elles sont aujourd’hui menacées par un cadre réglementaire contraignant…

ENGAGEONS-NOUS ET SOUTENONS LES SEMENCES ANCIENNES !

Pour aller plus loin :

  • Réseau Semences Paysannes  (rubrique Réglementation)
  • Semences et droits paysans Brochure BEDE/Réseau Semences Paysannes, 2009, 76 p. Sur le travail du Réseau Semences Paysannes
  • Semons la biodiversité : Contre le fichage génétique et l’appropriation du vivant Film en ligne sur www.semonslabiodiversite.org
  • Du Grain aux Pains un beau film sur une rencontre de boulangers du monde entier, l’occasion de découvrir la diversité des pâtes, pains et le lien entre les cultures et l’agriculture.
  • Les Blés d’Or Durée 35 mn + 2 bonus de 5 et 20 mn (réédition du film Légalité et légitimité des semences paysannes)
  • La fin des haricots ? Un film d’Anne Butcher, Lilith Production, 52 mn, 2006
  • La guerre des semences La Confédération Paysanne