Il aura fallu une pandémie mondiale pour que la lumière soit faite sur les nombreuses failles du système alimentaire et agricole français… Même si certains profitent du COVID19 pour mettre des bâtons dans les roues de la transition écologique, l’opportunité d’exiger une réforme en profondeur de notre agriculteur vers un modèle agroécologique, est maintenant.

L’année 2019 a marqué un tournant dans la politique agricole française. Pour la 1ère fois depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la France enregistre une balance commerciale déficitaire sur les échanges agroalimentaires réalisés avec le reste de l’Union Européenne. Aujourd’hui nous importons plus que nous vendons. Un paradoxe quand on sait que la France est la 1ère puissance agricole européenne…. Les premières victimes ? Les agriculteurs. Bousculés sur les marchés mondiaux et questionnés sur leurs pratiques par la société, nos agriculteurs vivent un malaise grandissant, qu’ils ont exprimé à plusieurs reprises et dont le phénomène « d’agribashing », ou dénigrement systématique de l’agriculture, notamment conventionnelle ; n’est que la partie émergée.

Le système agricole français a beaucoup évolué ces soixante dernières années, notamment sous l’influence de la PAC, Politique Agricole Commune créée en 1962 pour dynamiser l’agriculture et assurer l’autosuffisance alimentaire. Cela a induit l’industrialisation de l’agriculture et renforcé le libéralisme. Un fossé s’est creusé et, depuis, la perte de confiance envers nos agriculteurs se fait de plus en plus ressentir. De leur côté, l’endettement et la perte de compétitivité pousse, chaque jour, un agriculteur à mettre fin à sa vie… Un constat alarmant qui cristallise la situation agricole et qui met en péril notre souveraineté alimentaire.

L’image triomphante de l’agriculture française semble être ternie au profit de nos voisins européens. Est-ce la fin de la ferme France ? Le combat n’est néanmoins pas fini pour bon nombre d’agriculteurs qui n’ont de cesse de faire évoluer leurs pratiques et qui le font savoir.

Un saut dans le temps nous permet de comprendre comment un telle situation a pu arriver et quelles sont les clés, tant au niveau étatique que sociétal, pour sortir de cette spirale infernale.

Le modèle agricole français sous tutelle européenne

Paysage agricole dans l'Yonne, Bourgogne Franche Comté copyright Yann Arthus-Bertrand
Paysage agricole dans l'Yonne, Bourgogne Franche Comté copyright Yann Arthus-Bertrand

La baisse de l’emploi agricole, l’agrandissement des exploitations, la motorisation et l’utilisation des engrais et des produits phytosanitaires caractérisent les transformations majeures de l’agriculture française depuis les années 1950. En sortie de guerre et afin d’assurer le développer de la production agricole, l’agriculture française est ainsi passée sous la tutelle de l’Europe grâce à la création de la PAC, Politique Agricole Commune en 1962. La France est le principal bénéficiaire de l’Union Européenne avec une enveloppe annuelle de 9 milliards d’euros, montant qui ne cesse de croître d’années en années malgré les fortes disparités de revenus entre exploitations.

Pour stimuler l’agriculture, 3 outils ont ainsi été créés : les taxes à l’importation, la garantie des prix aux agriculteurs et les restitutions aux exportations. Les subventions allouées par la PAC sont réparties selon le modèle suivant : 70% des subventions sont dites « directes », autrement dit les agriculteurs reçoivent un « revenu de base », calculées en fonction de la surface d’exploitation, indépendamment de la manière dont la production est menée. Le reste des subventions, cofinancé par les états membres, porte sur le développement rural, c’est-à-dire un soutien complémentaire qui vise à soutenir les agriculteurs qui mettent en place des pratiques respectueuses de l’environnement, qui lancent leur activité ou qui souffrent de désavantage compétitif du fait de leur zone géographique.

En incitant les agriculteurs à s’agrandir et gagner en compétitivité, c’est naturellement que depuis 60 ans, l’agriculture française a perdu 80% de ses exploitations et plus de cinq millions d’emplois agricoles. Selon le Ministère de l’agriculture, en 2016, il restait 824 000 actifs agricoles répartis dans 440 000 exploitations de 63 hectares de moyenne. Aujourd’hui, la politique agricole française se base donc sur la productivité grâce à l’augmentation croissante des grosses exploitations. Et pour cause, en 2010, les très grandes exploitations représentaient 33% des exploitations françaises contre 67% en 2016.

Depuis toujours l’agriculture est un secteur important même s’il tend à diminuer avec les années, jusqu’à représenter 1,6% du PIB national. Au niveau européen, la France est toujours le premier producteur agricole avec un chiffre d’affaires de 70,7 milliards d’euros en 2016, le second après l’Allemagne pour l’agroalimentaire avec 370 milliards d’euros. Un podium qui risque d’être chamboulé par une compétitivité toujours plus féroce.

Le malaise paysan

L’agriculture d’aujourd’hui n’est plus la même qu’hier. Le monde paysan qui est devenu minoritaire, voire marginal en France, voit son modèle totalement bouleversé. La concurrence accrue de nos voisins européens a grandement fragilisé la situation agricole française. Et pour cause, selon une étude réalisée par l’INSEE depuis les années 2000, la part des importations alimentaires a été multiplié par 2 si bien qu’aujourd’hui, on estime que 20% de l’assiette d’un français est importée de l’étranger. Mais pourquoi importer alors qu’une majorité des produits pourraient être produits sur notre territoire ? Ce sont les pouvoirs publics, les distributeurs et les consommateurs eux-mêmes qui privilégient les produits alimentaires, certes importés, mais moins chers !

Depuis plusieurs années, la France a mené une politique basée sur le pouvoir d’achat du consommateur, l’habituant à acheter le moins cher possible. Quand on sait que le coût horaire en Pologne est 4 fois moins cher qu’en France, la concurrence est rude malgré la légèreté de leur cahier des charges sur le plan environnemental et sanitaire. Faute de rentabilité, c’est donc naturellement que la France a mis de côté tout un pan de ses cultures, parfois mythiques.

Pour pallier cette concurrence, nombre d’agriculteurs français ont commencé la course à la rentabilité et la chasse à l’agrandissement, les obligeant ainsi à investir massivement dans des machines capables de répondre à leurs nouveaux besoins.

Ces lourds investissements ont plongé la plupart des agriculteurs dans la spirale infernale de l’endettement, dont peu ont réussi à sortir la tête de l’eau. Une somme colossale quand on sait qu’en 2017, près de 20% des agriculteurs n’ont pas pu se verser de revenu…

Si bien qu’aujourd’hui le monde agricole connait une crise économique mais aussi sociale. Outre la pression du profit liée aux changements de production, les agriculteurs doivent faire face à une pression morale sans précédent. Depuis plusieurs années, les consommateurs remettent en question l’agriculture conventionnelle issue de la pétrochimie en faveur d’une agriculture biologique, respectueuse du vivant. « L’agribashing », ou le dénigrement de l’agriculture traditionnelle, est devenu un phénomène courant qui met à mal la confiance que nous avons vis-à-vis de nos agriculteurs.

Les conditions de vie précaires, la concurrence accrue, la solitude ainsi que les difficultés économiques font que les taux de suicide des agriculteurs sont effarants. Tous les jours en France, un agriculteur met fin à ses jours. Un chiffre qui en dit long sur la crise que nous vivons actuellement. Malgré les difficultés, les français sont loin d’être désintéressés du sujet et le nombre d’installations en agriculture bio semble être le point de départ d’une mouvance générale.


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Vers un renouveau agricole

Paysage agricole près de Châlons-en-Champagne Marne, France (c) Yann Arthus Bertrand
Paysage agricole près de Châlons-en-Champagne Marne, France © Yann Arthus Bertrand

Les modèles agro-alimentaires actuels sont dominés par l’agro-industrie, où quelques grosses entreprises exploitantes imposent leur vision. Ce système semble être à bout de souffle pour tous : agriculteurs, consommateurs et nuit à l’environnement. Ne serait-ce pas l’opportunité de faire évoluer les choses ? Un autre système est possible. Un système agroécologique où les paysans retrouvent une place centrale dans un système plus éthique :

un modèle à l’écoute des citoyens, respectueux de la nature, des animaux et des humaines, résilient face au changement climatique et source de richesse pour notre territoire.

Il est temps de réfléchir à une nouvelle politique agricole ambitieuse et réaliste. Cela tombe bien car la prochaine réforme de la PAC entrera en vigueur l’année prochaine jusqu’en 2027. La nouvelle PAC, en cours de négociation, sera basée sur 10 objectifs que chaque état membre doit respecter. Le moment idéal pour dessiner une politique agricole et alimentaire de transition, devant emmener progressivement l’Union Européenne sur la voie d’une révision plus profonde de cette politique.


Comme l’agriculture est l’affaire de tous, le gouvernement français a mis en place une concertation publique sur le sujet. Agriculteurs, consommateurs, faites vos propositions et devenez acteurs du changement ! Concrètement, plusieurs outils sont proposés pour ce débat. La plateforme « impactons » permet à chaque citoyen de s’exprimer et d’émettre ses propositions d’objectifs. Sur le terrain, plus de 30 débats publics sont organisés par le Commission, ouverts à tous et dans toutes les régions de France. Un kit « J’organise mon débat » permet à chacun d’organiser un débat de manière autonome.

La fin de consultation est prévue pour le 31 mai 2020. Le Ministère de l’Agriculture aura ensuite trois mois pour publier une réponse, dans laquelle il doit tirer les enseignements des propositions formulées.

DEVENONS ACTEURS DU MONDE QUE NOUS SOUHAITONS VOIR ET ENGAGEONS-NOUS !

Pour aller plus loin :

  • Pour une autre PAC
  • Atlas de la PAC 2019 – Chiffres et enjeux de la Politique Agricole Commune
  • Plusieurs films/documentaires sur ce thème tels que « Au nom de la Terre » d’Edouard Bergeon, « Tout est possible » de John Chester ou encore « Jeune Bergère » de Delphine Détrie.