Bonne nouvelle ! La protection de la biodiversité a connu une avancée majeure au niveau mondial avec la signature d’un accord qui est vu comme une victoire. Du moins, c’est ce qu’on peut espérer de l’accord de Kunming-Montréal signé le 19 décembre 2022. Sa signature vient clôturer la COP15 (conférence des parties) de la Convention sur la Diversité Biologique (CBD). Durant le sommet organisé par la Chine (où il devait initialement avoir lieu en fin 2020 avant de se tenir à Montréal deux ans plus tard), le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres a exhorté les pays du monde entier à mettre fin à « la guerre que l’humanité livre à la nature [qui] est en fin de compte une guerre contre nous-mêmes ». En suivant ce raisonnement, il est possible de voir dans l’Accord de Kunming–Montréal une ébauche de « pacte de paix avec la nature ». Le texte est jugé historique , il l’est dans ses intentions et ses objectifs sans pour autant préciser la manière de les atteindre.

La biodiversité, un enjeu important qui souffre d’un déficit d’attention

Flamants roses sur le lac Nakuru, Kenya (0°19’ S - 36°06’ E). © Yann Arthus-Bertrand
Flamants roses sur le lac Nakuru, Kenya (0°19’ S - 36°06’ E). © Yann Arthus-Bertrand

Ce sommet est l’équivalent pour la biodiversité des négociations climatiques. Il n’a cependant pas eu le même écho politique et médiatique alors même que la préservation de la biodiversité s’avère aussi cruciale que celle du climat. Les deux conventions (CBD pour la biodiversité et CCNUCC Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques pour le climat) ont vu le jour au même moment lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992. 30 ans plus tard, autant le sujet du climat est désormais bien compris et fait l’objet d’une attention particulière de la part des médias et des décideurs ainsi que de l’opinion, autant le sujet de la biodiversité peine à susciter un niveau équivalent de mobilisation. C’est regrettable surtout que les enjeux liés à la biodiversité ne se limitent pas à la protection des grands mammifères sauvages… et ils sont liés au climat. Malgré un discours scientifique conséquent, les enjeux de la biodiversité restent mal compris.

Aucun chef d’État ne s’est déplacé à Montréal alors que la COP27 sur le climat le mois précédent avait rassemblé 110 chefs d’État et de gouvernement. Certes, cela s’explique en partie par le choix de la Chine de n’inviter que les ministres de l’environnement. À cela s’ajoute le calendrier, l’attention médiatique était focalisée sur la Coupe du monde de football et la guerre en Ukraine. En outre, des négociations à l’approche des fêtes de fin d’année et des difficultés sur la question du financement ont fait craindre un temps un scénario « à la Copenhague ». C’est-à-dire un accord a minima pour sauver la face et sans réel portée, comme cela s’est produit pour le climat en 2009, faisant perdre des années à l’action climatique. Finalement, la COP15 a déjoué les pronostics de ce point de vue.

Un Pacte pour préserver le vivant

Cette COP15 sur la biodiversité avait pour ambition d’aboutir à l’équivalent de l’Accord de Paris sur le climat pour la biodiversité, soit un accord assez fort pour embarquer la communauté internationale sur un objectif ambitieux partagé. De côté-là, le pari est réussi puisque l’Accord de Kunming-Montréal fixe une feuille de route avec 4 objectifs principaux et 23 cibles à atteindre pour 2030. Parvenir à protéger 30 % des surfaces terrestres et maritimes d’ici 2030 constitue l’objectif le plus marquant de ces engagements.

Le travail de la COP15 sur la biodiversité ne sort pas de nulle part. Il fait suite aux objectifs d’Aichi, le nom donné aux précédents objectifs en matière de préservation de la biodiversité, fixés par la CBD pour la décennie 2010-2020. Tous se basaient sur la science, mais sur une vingtaine d’objectifs, seulement quelques-uns ont été partiellement atteints. La cible 11 des objectifs d’Aichi prévoyait de protéger 17 % de la surface terrestre et 10 % des océans pour 2020. Selon l’UNEP, (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) en 2021, 16,64 % des écosystèmes terrestres et 7,74 % des écosystèmes marins étaient protégée. Dans le même temps, la qualité de la protection était sujet à caution. Cet exemple illustre donc sur un constat de semi-échec sur la question de la préservation de la biodiversité telle qu’elle avait proposée par les Objectifs d’Aichi établis par la CBD àdans le protocole de Nagoya signé en 2010. C’est dans ce contexte particulier que la COP15 s’est tenue.

Des engagements pour faire face à la 6e extinction de masse

Eléphants dans le delta de l’Okavango, Botswana (19°26’ S - 23°03’ E). (c) Yann Arthus-Bertrand
Eléphants dans le delta de l’Okavango, Botswana (19°26’ S - 23°03’ E). (c) Yann Arthus-Bertrand

En soi, les objectifs d’Aichi étaient bons, mais ils n’ont pas su être traduits localement de manière efficace. La COP15 devait donc établir de nouveaux objectifs pour 2020-2030 en tenant compte des enseignements d’une décennie d’actions aux résultats mitigés et des avancées de la science. En effet, l’objectif des négociations sur la biodiversité est de préserver cette dernière. Leur finalité est d’empêcher la 6e extinction de masse du vivant. Ce phénomène consiste en un important déclin de la biodiversité qui se produit quand le taux de disparition des espèces est plus rapide que le rythme naturel. Formulé ainsi, le sujet semble simple et évident. Qu’une espèce disparaisse est un processus naturel normal, mais actuellement du fait des activités humaines et de leurs empreintes sur les milieux naturels, les disparitions d’espèces sont de 100 à 1000 fois supérieures au taux naturel d’extinction. Comme la biodiversité est vaste, on connait à peine un million d’espèce sur les 10 millions peuplant la planète et que cette érosion se produit sur un temps long à l’échelle humaine, il est difficile de s’en rendre compte.

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Mais, le réel apporte une couche de complexité car la biodiversité regroupe justement la diversité des écosystèmes, des espèces, au sein des espèces et dans la génétique ainsi que toutes les relations entre ces éléments. En bref, il s’agit d’un sujet qui englobe tout, car la biodiversité et la nature reposent sur des interdépendances multiples. La biodiversité se trouve partout : de l’infiniment petit à l’infiniment grand, ce qui est proche et ce qui est lointain. Ils forment un tout qui fonctionne grâce à des réseaux, ce tout qu’on nomme la nature rend à l’espèce humaine de nombreux services grâce au fonctionnement naturel des écosystèmes comme l’épuration des eaux, la pollinisation, la protection contre les catastrophes naturelles, la production d’oxygène et la captation du CO2 par exemple… Conscient que la biodiversité est le socle du vivant, en 2022, les scientifiques de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques,  – l’équivalent du Giec pour la biodiversité- ont remis plusieurs rapports confirmant l’urgence d’agir pour préserver la nature. Leurs travaux appellent à revoir la manière dont l’humanité prend en compte le vivant. Il reste à espérer que la COP15 soit le premier pas qui amorce un changement systémique dans cette direction. 

Quand on lit le contenu de l’Accord de Kunming-Montréal, on peut se réjouir des engagements pris et des mesures proposées. Ces 4 objectifs et ces 23 cibles coulent de source, ils ont obtenu l’adhésion des participants. Il est désormais temps de concrétiser les bonnes intentions. Ainsi, la proposition phare est de parvenir à protéger 30 % de la planète d’ici 2030. Il faut donc créer davantage d’aires protégées et que celles-ci soient effectives, pas simplement un label pour se donner bonne conscience. Il en va de même pour d’autres engagements pris tel que réduire de moitié le gaspillage alimentaire, protéger les écosystèmes les plus riches en biodiversité, en finir avec la surconsommation, réduire l’utilisation des pesticides, des engrais et des substances toxiques. Sur le plan économique et financier, les engagements de la COP15 sont ambitieux : diminuer les subventions néfastes à l’environnement de 500 millions de dollars chaque année et trouver 200 milliards de dollars par an afin de participer au financement au niveau national et international en faveur de la biodiversité. De plus les entreprises sont désormais appelées à mesurer, évaluer et contrôler l’impact de leurs activités sur la nature. Les engagements pris sont historiques. Ils sont formidables et vont dans le bon sens. Mais, comme souvent avec ce genre de déclaration, il faut être vigilant. En effet, le texte ne les rend pas contraignantes, leur mise en œuvre dépendra donc en partie du bon vouloir de tout un chacun.  

Des engagements à concrétiser et des leviers de changement déjà existants 

On pourrait terminer en concluant que la COP15 a abouti sur un consensus mou. Mais l’époque a changé. En 2022, ces engagements trouvent une adhésion au sein d’une partie des opinions publiques. De plus, bien que les mécanismes pour s’assurer de leur application n’existent pas, tout reposera donc sur l’implication des États- des gouvernements, des collectivités, des entreprises, des citoyens des ONG. Or, ils sont de plus en plus nombreux à être persuadés qu’il faut suivre la feuille de route tracée. À leurs échelles, citoyens, ONG, entreprises et autorités ont même déjà commencé ce travail depuis décenies. À la Fondation GoodPlanet, nous travaillons depuis des années sur la réduction des déchets alimentaires, sur la création d’aires protégées et incitons et accompagnons les entreprises dans de telles démarches de changement. L’Accord de Kunming Montréal demande aux pays du monde entier des efforts, mais l’expertise dans la préservation du vivant existe déjà, portée par les scientifiques, les ONG, les institutions, les entreprises, les peuples autochtones et les citoyens. Elle a plus que jamais besoin d’être renforcée, valorisée. Étant donné sa complexité, la préservation de la biodiversité ne pourra être un succès que si elle repose sur une pluralité et une diversité d’acteurs tant au niveau international que local. L’histoire ne jugera pas le texte de l’accord de la COP15, mais son effectivité, sa concrétisation et ses résultats. Les États ne pourront parvenir à achever leurs nobles ambitions sur la biodiversité que si et seulement si l’impérieuse nécessité d’agir a suffisamment convaincu et que cette conviction soit transposée en volonté politique. Plus que jamais, la biodiversité a besoin de tous. Puisque la feuille de route est là, acceptée par les gouvernements, il faut désormais emprunter ensemble le bon chemin.    

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Le point de vue de la Fondation GoodPlanet sur une COP27 qui, malgré une avancée historique, appelle à la vigilance