Photographe, réalisateur, producteur et artiste primé, Nicolas Henry est connu pour créer des œuvres participatives qui révèlent les histoires personnelles et collectives des communautés du monde entier.

Véritable plateforme créative, son œuvre devient ainsi un espace où, par le biais de leurs récits, les participants peuvent échanger des idées, relever les défis auxquels leurs communautés sont confrontées et exprimer leurs espoirs et leurs idées pour une société plus juste et équitable.

Il nous partage son expérience en quelques photos :

La plupart du temps j’arrive dans un endroit et je ne sais pas qui je vais rencontrer ou quels récits me seront contés. Je m’installe dans cette communauté pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Je pars donc du témoignage des gens, je pars des interviews, des histoires que j’apprends au fur et à mesure de ce séjour immersif. Et je pars surtout du principe que tous les êtres humains sont intéressants ! Tout le monde a une histoire à raconter ! Et souvent ces récits seront partagés et mis-en-scène devant et par leur communauté. Quel que soit l’endroit je vais donc pouvoir parler de sujets importants et éprouver un engagement communautaire très fort.

FORET AMAZONIENNE, ÉQUATEUR.
Maria Celia Grefa Aguinda, au pied d’un des derniers grands arbres.

« A l’intérieur des grosses pierres qui font disparaître les animaux vivent nos histoires. On peut voir des silhouettes se découper à leur surface. Nous, les Quechuas, vivons avec les esprits de la forêt. Les plantes nous permettent de communiquer avec la nature. Quand tu bois l’ayahuasca, un rêve t’emporte à travers ton passé, ton présent et ton futur. C’est elle qui noue les relations entre les hommes, l’eau, les animaux et les plantes. Cette conscience qu’elle t’apporte, c’est la responsabilité qui fait de toi un être humain. Depuis qu’un pont traverse notre rivière, nos enfants partent dans toutes les directions. Être mère, c’est le plus grand des bonheurs, mais maintenant les enfants ont des ailes comme les oiseaux, et un jour on reste seul. Il n’y a presque plus de grands arbres. Notre forêt aussi est orpheline. Je crois qu’on commence à perdre ses racines quand les générations ne passent plus leur vie ensemble. Un jour, il sera trop tard et notre terre ne pourra plus porter ses futurs enfants. »

Je suis très influencé par la peinture ancienne et par les esthétiques proches du symbolisme ou du préraphaélisme. J’ai aussi une écriture au niveau des lumières qui s’approche plutôt de la peinture classique. Il s’agit d’une lumière qui est très construite, très artificielle, ce qui donne un sens très dramaturgique et qui me rapproche plutôt du théâtre. Puis, je vais utiliser des stratégies contemporaines en installation et en composition mais en intégrant le portrait à l’intérieur.
Mon parcours est donc composé de trois piliers : les Beaux-Arts, au départ, en tant qu’étudiant en art contemporain ; ensuite par le spectacle vivant, avec les éclairages, la mise en scène, les costumes, les expressions ; et enfin par le projet « 6 milliards d’Autres », de Yann Arthus-Bertrand, où j’ai commencé en tant que réalisateur et directeur artistique et qui m’a apporté la parole, le sens de l’engagement et le côté plus documentaire de mon travail.

LORBAAP, VANUATU.
A iair Randes sur le site de la maison des Mystères.

« L’esprit de la nature est venu dans mon corps pour m’apprendre les masques. Hier, il m’a parlé de votre venue.
Les rires des jeunes de notre village se sont réunis et nous sommes partis loin dans la jungle pour reconstruire la maison aux Secrets. Le regard des femmes ne se pose jamais sur la pierre et le tambour. La dent de cochon que je porte représente mon grade, ma valeur dans la tradition. Quand tu as réuni le taro, le riz et le yam, tu peux tuer un cochon. Les danses de la société des hommes sont les témoins de cette nouvelle étape. Quand tu passes un grade, les cérémonies sont pleines des couleurs de la nature qui nous habille. Aujourd’hui, on oublie peu à peu nos traditions car pendant longtemps, la religion venue des bateaux nous a interdit nos pratiques. Nos ancêtres ne pensaient pas qu’il y avait un Dieu, mais pourtant Dieu prenait soin de nous.
Il respectait les hommes sans jamais cesser de rire. »

Le concept que j’ai développé aux Beaux-Arts c’est le partage d’autorité avec mon modèle. Cela consiste à lui faire passer du statut d’objet photographique à celui d’acteur de sa propre photographie. C’est un positionnement basé sur le dialogue, ce qui m’intéresse particulièrement dans l’univers du portrait. C’est leur choix, c’est leur récit, on fabrique ensemble. Évidemment, je vais donner la technicité mais il faut que la photographie dépasse mon regard individuel pour aboutir à une création commune.

Je propose aussi une rupture avec la photographie en tant qu’instant décisif, très présent dans les photoreportages, par exemple. La photographie n’est plus la trace d’un temps mais devient la trace d’une journée entière et d’un processus entier, comme pour la peinture finalement. Je cherche donc à transformer le mythe de la subjectivité et du rapport individuel en initiative communautaire.

VILLAGE OROMO, ÉTHIOPIE.
Un bus pour aller à l’école.

« Pour que nos enfants puissent se rendre à l’école, il leur faut emprunter les chemins pierreux qui serpentent jusqu’au creux de la vallée. De longues heures de marches quotidiennes réduisent souvent à néant la volonté des plus courageux. Alors, beaucoup restent au village, pour aider aux travaux des champs.
Celui qui cahote sur un âne fidèle pourra rallier la classe en seulement une heure, bien harnaché, le trot d’un cheval portera le chanceux en trois quarts d’heure. Nuage de poussière à l’horizon, un bon bus sur la route nous permettrait d’arriver à destination en moins d’un quart d’heure.
Lire, écrire, compter, l’éducation de nos enfants nous protégera des aléas de la nature qui parfois réduit à néant des saisons entières de labeur. Il nous faudrait arriver à diversifier nos sources de revenu, et peut-être qu’un jour l’accès à l’eau d’un puits, et à la médecine qui sauve les vies, sera disponible pour chacun de nous. »

Une fois que j’ai réalisé mes photos, je tenais beaucoup à continuer de développer mon projet localement avant de revenir en Europe ou de partir sur les marchés de l’Amérique du Nord. Cela me permet de présenter mes projets dans des endroits extrêmement différents et pas simplement dans les espaces d’exposition par défaut comme les galeries d’art ou les centres culturels. Je sors les scénographies dans la rue, parfois assez complexes, c’est ma signature, mais c’est surtout une autre manière d’accéder au public, en faisant des expositions dans l’espace public au lieu de rester dans les salles des musées.

ISTANBUL, TURQUIE.
Moussa et les livres de la loi.

« Dans ces registres notariés, la vie de milliers de gens est consignée : la propriété, les amours, la descendance et les testaments… Chemins de fortunes et d’infortunes qui se font et se défont, au regard de cette loi que l’on conçoit unique et égale pour tous. J’ai beaucoup pleuré face à la fatalité dont je suis l’obligé de par mon peu de naissance.
Les situations absurdes et sans issue de la modernité semblent dresser devant moi des obstacles insurmontables. Je ne peux me résoudre à une vision qui ne considère nos existences que contraintes par des frontières de papier. Je me sens parfois égaré dans la vie comme dans un labyrinthe sans fil conducteur, tourbillon kafkaïen qui limite les aspirations à notre destin.
J’ai connu une femme merveilleuse qui venait de France. Je lui ai donné tout mon amour, qu’elle a accepté dans notre joie commune. Je me suis présenté à l’administration pour les papiers de France. Voyant que j’étais kurde, ils m’ont demandé si j’étais partisan des révolutionnaires du PKK. Je leur ai dit que seul un attachement amoureux justifiait ma demande. Mais sans le statut de réfugié politique, ils ne m’ont pas donné le droit de venir la rejoindre. Après plusieurs années de démarches vaines, sans aboutissement, le temps et la séparation sont venus à bout de notre amour, et s’est ouvert à moi le goût des regrets. »

Toutes les cultures sont différentes, mais l’humanité est une communauté unique qui partage des valeurs, un passé et un avenir. Même si on peut vivre dans des écosystèmes très différents, avoir des vies très différentes, au fond les grands thèmes sont exactement les mêmes : l’amour, la famille, le féminin et le masculin, les enfants… le récit écologique et les changements dans la nature sont de plus en plus récurrents partout aussi.

GOREE, SENEGAL.
Ex-Voto des pêcheurs.

« Nous, pêcheurs de l’île de Gorée, respectons la solidarité des gens de mer depuis plusieurs siècles, elle veut que tout marin porte assistance à son prochain à la mer quelques soient les circonstances. Le Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande le stipule ainsi : « Tout capitaine est tenu, autant qu’il peut le faire sans danger sérieux pour son navire, son équipage et ses passagers, de prêter assistance à toute personne, même ennemie, trouvée en mer en danger de se perdre. »
Aujourd’hui, face aux drames de la Méditerranée, beaucoup discutent…
Notre Ex-Voto est comme une offrande faite au monde, un remerciement qui nous questionne sur notre responsabilité, et notre capacité d’assistance. Témoin d’une situation de crise, si l’on peut sauver un être humain, il nous aidera à faire le bon choix, celui dicté par l’Amour, qu’il soit loin, qu’il soit proche. »

Nos différences sont une force pour toutes les sociétés. En faisant preuve de créativité nous pouvons trouver des solutions pour que tout le monde puisse gagner ensemble. C’est là où cette idée de communauté dans mon travail prend toute son ampleur car on peut toujours s’entraider et arriver à un rapport gagnant-gagnant. Cette dynamique doit servir de moteur pour la cause écologie aussi. Nous sommes en plein dedans, ce n’est pas une question de futur, c’est presque une question de passé. L’innovation et la créativité doivent être au centre de nos objectifs et de nos actions.

Nicolas Henry est le Directeur Artistique de PhotoClimat, la Biennale Sociale et Environnementale de Paris. Pour sa première édition, prévue en septembre 2021, un ensemble d’expositions réuniront des artistes et acteurs majeurs de l’engagement écologique et social en France.

Photoclimat sera l’événement d’ouverture de l’Académie du Climat : lieu participatif, éducatif et gratuit, placé au cœur de Paris, pour former deux à quatre mille jeunes par an aux enjeux environnementaux.

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