Issu de la photographie de sport et d’actualité, Laurent Baheux a choisi de consacrer son activité à la photographie de nature. Depuis plus de 15 ans, il parcourt l’Afrique, l’Arctique et l’Europe du Nord et nous offre une collection singulière de photos animalières.

Ses portraits animaliers en noir et blanc captent la personnalité de chaque animal. En éliminant toute éventuelle distraction apportée par la couleur, sa démarche laisse l’émotion s’exprimer.

Photographe engagé, ambassadeur de bonne volonté du Programme des Nations Unies pour l’environnement, Laurent Baheux soutient par son travail les actions de préservation de la biodiversité en Afrique, en collaboration avec différentes ONG.

Il nous partage son expérience en Cinq photos pour raconter la planète

Au départ, j’étais plutôt attiré par le journalisme, le rédactionnel, et puis je me suis retrouvé dans un quotidien régional où faire des textes ne suffisait pas. On avait de petits moyens donc très rapidement on m’a demandé de faire aussi de la photo pour illustrer mes comptes rendus sportifs, je me suis donc lancé un peu par hasard en autodidacte. En 2002, j’ai réalisé ma première expédition en Afrique, pour me couper un temps de la vie citadine et du rythme effréné de l’actualité sportive. J’avais besoin de prendre l’air et de voir autre chose que de l’humain. Depuis tout petit, j’avais envie d’aller à la rencontre des grands mammifères sauvages terrestres. J’ai été conquis par l’Afrique et la vie sauvage ne m’a plus jamais lâché.


Sourire de crocodile, Botswana, 2010

Le photojournalisme m’a apporté mon identité photographique : celle de portraitiste en noir et blanc. Cette pratique fait partie de mon histoire avec la photographie, de ma découverte et de mon apprentissage de l’argentique. Je me sens plus libre avec la photo en noir et blanc. Je me concentre plus facilement sur l’effort, sur la composition, sur la lumière, sur les ombres… Cela me permet d’accentuer les contrastes, de valoriser les volumes. On va à l’essentiel avec le noir et blanc. Dans l’histoire que j’ai envie de raconter, la couleur apparaît comme une distraction. Je cherche à dévoiler mon sujet, à révéler son caractère, la personnalité de l’animal que je photographie et non pas la couleur de sa peau.

Un autre réflexe du photographe de sport, c’est celui de savoir jongler entre le jeu de patience et de réactivité, parce que d’un instant à l’autre il peut se passer quelque chose d’inattendu. Ce n’est pas le photographe qui choisit la rencontre, qui choisit le moment, c’est l’animal qui est libre de ses mouvements donc c’est lui qui décide de ce qui se passe, en s’approchant ou en s’éloignant.


Girafe – Je perds la tête en Afrique, Kenya, 2015

Toujours avec la même équipe, surtout avec le même chauffeur guide, Maurice, qui au bout de 15 ans d’expéditions est devenu mon ami, je pars sur le terrain. Dès les premières expéditions, je me suis rendu compte que c’était plus facile de s’approcher des grands mammifères africains dans un véhicule plutôt qu’à pied. C’est un héritage des safaris de chasse. Les animaux ont identifié la silhouette humaine comme un danger, comme un prédateur. Donc quand on s’approche dans un véhicule, évidemment en douceur, on est à la fois protégé et, paradoxalement, on perturbe moins les animaux qui ont tendance à continuer à se comporter de manière normale sans trop craindre la voiture.

Puis, au fur et à mesure que j’ai photographié et que j’ai observé ces animaux à l’état sauvage, dans leurs habitats naturels, une prise de conscience s’est installée. J’ai compris les menaces que représentent nos activités pour toutes ces espèces : leurs habitats sont de plus en plus restreints. Cela m’a donné encore plus envie de militer pour défendre la cause animale.


Chimpanzé dans un arbre, Ouganda, 2018

Cela devient de plus en plus difficile de voir les grands prédateurs et les grands mammifères. Toutes les populations d’animaux sauvages sont en déclin et, à ce rythme-là, certaines espèces risquent de totalement disparaître à l’état sauvage dans les trente prochaines années. A chaque fois que je retourne en Afrique, je constate une dégradation. Il y a un vrai déclin des populations animales et une pression démographique humaine, une sorte de compétition avec l’animal pour de nouvelles terres à cultiver, à habiter, à exploiter… Des peuples comme les Massaïs, par exemple, sont de plus en plus nombreux et de moins en moins nomades. Ils se sédentarisent, construisent des villages et le simple agrandissement de leurs troupeaux pèse sur les espèces sauvages.

Même dans les zones moins peuplées et donc relativement moins dégradées, comme les pôles, la surexploitation menace. Dans l’Arctique, par exemple, certains se réjouissent du réchauffement climatique, de la fonte des glaces pour pouvoir exploiter le sous-sol et avoir accès à ses ressources. On n’est donc pas à l’abri d’une destruction perpétuelle.


Ours polaire avec oursons, île de Baffin, Canada, 2016

Malheureusement, l’humain se comporte de la même manière partout sur la planète. Il s’agit d’un système mondialisé, qui implique une sorte d’uniformisation de modèle économique basée sur l’exploitation irraisonnée des ressources, dont les conséquences sont pratiquement les mêmes sur tous les continents.

Certes, dans certaines régions, on observe une prise de conscience. Mais de manière générale, beaucoup de sociétés n’en sont pas là et se démènent toujours avec des défis non négligeables de réduction de la pauvreté et de la misère. Cela dit, en Europe, nous pouvons trouver les mêmes difficultés de conscientisation. Cela fait 40 ou 50 ans que les experts scientifiques disent que l’activité humaine est destructrice de notre environnement mais ce n’est pas suivi d’effets. Les décideurs, le gouvernement, ceux qui détiennent le pouvoir politique font la sourde oreille. On fait toujours passer l’humain avant la protection de l’environnement. On continue à détruire pour préserver des emplois et l’économie même si on sait que cela n’est pas viable à long terme. On s’obstine à continuer dans cette voie, alors qu’on sait très bien qu’on est dans la mauvaise direction.


Autruche – Je crois que je peux voler, Namibie, 2017

C’est impressionnant comme les animaux sont très protecteurs, avec leurs petits, et même entre adultes. Il y a une solidarité, une cohésion dans les groupes. Parfois même entre espèces, une collaboration s’opère pour détecter d’éventuels prédateurs. On s’aperçoit qu’il y a beaucoup de respect entre les animaux. Il y a également de la prédation, liée à l’instinct de survie, mais je n’ai pas cette démarche d’aller chercher des scènes de prédation spectaculaires. Je suis plutôt un contemplatif et j’aime juste la beauté de l’instant, la simplicité d’un portrait, d’une attitude dans une belle lumière. Et souvent, ce qui transpire dans ce monde qu’on dit « sauvage », c’est beaucoup d’amour et de douceur.


Joue contre joue, Cheval sauvage d’Islande, 2015

Je suis par ailleurs particulièrement intéressé par les relations qu’on établit avec les animaux : la manière dont on les exploitent et on les catégorisent. Aujourd’hui, il y a les animaux qu’on protège, ceux qu’on admire, ceux qu’on caresse, ceux qu’on met dans notre assiette, ceux qu’on chasse, ceux qu’on va photographier ou ceux destinés aux laboratoires pour l’expérimentation médicale. Alors que pour moi, il n’y a pas de barrière, il n’y a pas de frontière entre les animaux. Les catégories sauvage, d’élevage ou domestique ne devraient pas exister. La cause animale est globale et c’est seulement l’homme qui catégorise les animaux en différentes fonctions selon son propre intérêt.
Je ne suis pas le premier à apporter ce genre de réflexion, si on remonte dans l’histoire, plusieurs philosophes, écrivains et intellectuels se sont penchés sur la relation entre l’homme et les animaux. Mais selon moi, on a encore une grande marge d’évolution dans la manière dont on traite l’espèce animale.

Trois expositions virtuelles de Laurent Baheux sont actuellement disponibles en ligne.
Pour en savoir plus à propos de son œuvre et de ses engagements, rendez-vous sur https://www.laurentbaheux.com/ ou sur sa page Instagram.