En 2002, Franck Vogel, tout juste diplômé d’une école d’ingénieur, prend la route pour découvrir le monde. Un homme lui parle des Bishnoïs, connus comme le premier peuple écologiste de l’histoire, installé au Nord de l’Inde. Intrigué, il décide de partir à leur recherche. En 2007, il trouve enfin une piste et part à leur rencontre. Sunil, un informaticien Bishnoï, lui ouvre la porte de sa famille et de sa culture.  Franck Vogel découvre la vie des Bishnoïs. Elle est régie par un ensemble de 29 règles, 29 préceptes édictés par leur guru Jambheswhar, fondateur de la communauté au XVème siècle. Ces règles sont directement liées à la protection de l’environnement et au bien-être des animaux. Le photographe a immortalisé la culture et la croyance de ce peuple du Rajasthan qui se bat pour la protection de l’environnement. Il revient sur cette rencontre et la découverte de cette vie en harmonie avec la nature avec ces 5 photos.

 

Rana Ram a planté plus de 22 000 arbres ces 38 dernières années. Chaque matin et soir, il nourrit les gazelles et les oiseaux sauvages près de sa maison dans le désert du Thar.

Le territoire des Bishnoïs se trouve au Rajasthan au cœur d’un des déserts les plus arides de la planète : le désert du Thar, aussi appelé “Terre des Morts”. Ici en été, le thermomètre flirte avec les 65°C.  Rana Ram Bishnoï, un des membres de la communauté a planté plus de 22 000 arbres ces 38 dernières années. Pour lui, planter et arroser de nouveaux arbres est une question de survie : “sans les arbres, nous ne pouvons pas vivre dans le désert.” 

En plus des arbres plantées, Rana Ram Bishnoï nourrit 2 fois par jour les gazelles et les oiseaux qui habitent près de sa maison, même lors de tempêtes de sable, comme c’est le cas sur la photo. Dans ses habits blancs, il s’approche en criant “Ow, Ow”. De plus en plus de gazelles arrivent en sautillant accompagnées de paons, de pigeons et d’autres oiseaux. L’heure du repas a sonné.

Lors des pélerinages, chaque famille Bishnoï offre du blé pour nourrir les gazelles, antilopes noires, paons et pigeons vivant aux alentours des temples sacrés. Depuis le XVe siècle ils partagent leurs récoltes ainsi que l’eau avec les animaux sauvages.

Le chef spirituel des Bishnoï, Jambheshwar, vécut au XVe siècle. En ces temps reculés, survint une grave sécheresse qui dura plusieurs années, et qui rendit les gens complètement fous puisqu’ils tuèrent les animaux sauvages pour se nourrir et abattirent les arbres. Jambheshwar, alors jeune Rajput de 33 ans, assista au massacre, et décida d’agir.

En 1485, il exposa ses 29 préceptes pour survivre dans le désert et vivre en harmonie avec la faune sauvage et la Nature. « Si vous voulez vivre, vous ne tuerez plus d’animaux et n’abattrez plus un seul arbre. Ils méritent votre attention et votre affection; vous les considérerez comme vos enfants. Si vous acceptez mes règles, vous vous nommerez les «29», les Bishnoïs (Bish: 20 et Noï: 9) ». La première religion écologique était née, et des personnes issues de toutes les castes (Brahmanes, Rajputs, Jats, Musulmans,…) commencèrent à rejoindre le mouvement, un fait unique dans l’histoire indienne. Ce message est toujours vivant.

Parmi ces 29 préceptes : la 1ère éco-taxe au monde ! Ainsi depuis plus de cinq siècles, les Bishnoïs partagent au moins 10% de leurs récoltes avec la vie sauvage.

Ici, lors d’un pèlerinage, des hommes collectes du blé et du millet pour nourrir les gazelles, les antilopes noires, les paons, et les pigeons vivant aux alentours des temples sacrés.

Une femme Bishnoï arrose un arbre dans sa cour au Punjab. Les murs et le sol sont recouverts de bouse de vache et balayés deux fois par jour. La bouse est renouvelée deux fois par an.

« La vie d’un arbre vaut plus qu’une tête coupée. » Cette phrase prononcée dans le passé par Amrita Devi Bishnoï est devenue célèbre. Martyre, elle fut la première à se sacrifier pour tenter de protéger les arbres des haches des soldats du Maharadjah. Au total, 363 Bishnoïs donnèrent leur vie pour épargner des arbres Khejri. Quand le Maharadjah prit connaissance des faits, il ordonna de cesser les opérations et s’excusa en personne auprès de la communauté Bishnoï. Il fit graver un décret royal sur une plaque de cuivre stipulant l’interdiction, même pour la famille royale, de chasser et d’abattre des arbres en territoire Bishnoï. En mémoire des martyrs, chaque famille achète au moins un arbuste par an et le plante chez elle à l’endroit de son choix. Elle devra lui apporter quotidiennement de l’eau pendant près de deux années. En période sèche, le précieux liquide est partagé avec la jeune pousse. Jamais un Bishnoï n’abattra un arbre, il attendra qu’il meure ou s’abatte lors d’une tempête.

Sur cette photo, une femme Bishnoï arrose son arbre dans sa cour. Le sol et les murs sont recouverts à la main de bouse de vache, ce qui donne ce relief. Les femmes Bishnoïs ayant accouché d’un fils portent un cercle jaune dans leur dos.

Rajender Bishnoï a sauvé ce faon des crocs des chiens sauvages. Il l’a emmené chez lui pour lui poser une attelle. Ses neveux, Vikram et Amandeep, viennent le voir tous les jours.

Depuis le XVe siècle, les Bishnoïs protègent les animaux sauvages sans avoir peur de mourir. Le 12 août 2000, un Bishnoï a été assassiné alors qu’il tentait de sauver une gazelle des griffes des braconniers. Il a été enterré aux côtés de celle qui n’a pu sauver.  Un an plus tard, le président de l’Inde lui a décerné à titre posthume l’Amrita Devi Bishnoï Environmental Award, la plus haute distinction du pays pour la défense de la vie sauvage. Son fils de 16 ans, Punam Chand, est très fier de son père : « C’est dur de vivre sans lui, mais il a fait ce que tout Bishnoï devrait faire. Si je me retrouve dans la même situation, je n’hésiterai pas une seconde. »

Considérées comme des espèces menacées, les antilopes noires et les gazelles indiennes sont protégées par la loi. Un conducteur qui tue accidentellement une gazelle risque jusqu’à quatre ans de prison, une peine très courante en Inde. Il est donc recommandé de ne pas conduire en territoire Bishnoï.  Aujourd’hui, 600 000 Bishnoïs ont construit leurs villages comme de véritables sanctuaires pour les animaux sauvages et les arbres.

Ici Rajender Bishnoï a sauvé ce faon attaqué par des chiens sauvages. Ses neveux, Vikram et Amandeep viennent le voir tous les jours. Ils lui ont posé une attelle et l’accompagnent dans sa guérison.

Lors du festival de Mukam, les pèlerins libèrent le sable au sommet des dunes afin de les agrandir et ainsi bloquer l’avancée du désert.

Lors du festival de Mukam, les pèlerins libèrent le sable au sommet des dunes afin de les agrandir et ainsi bloquer l’avancée du désert.

Depuis des années, Khamu Ram Bishnoï se désolait de voir des déchets plastiques envahir ces dunes.  « Les Bishnoïs utilisent ces sacs pour transporter du sable puis ils les jettent comme des feuilles de bananier. Ils n’ont pas conscience que les sacs plastiques polluent » expliquent Khamu Ram.  Ce dernier a découvert les poubelles en France lors du forum international pour le développement durable à Courchevel. De retour en Inde, il décide de l’introduire dans sa communauté et entame une longue et solitaire campagne pour convaincre les siens que la collecte du plastique est le complément indispensable des 29 principes Bishnoïs.