Plus de 60 ans de dévouement au… froid !
Le premier choc thermique de Michel Rawicki comme il l’appelle, remonte à 1960 lorsque ses parents l’ont amené à l’Aiguille du Midi dans la vallée de Chamonix. Il n’a que 10 ans lorsqu’il prendra la glace dans ses bras et se sentira « à sa place ». Le 2ème est arrivé beaucoup plus tard, en 1992, quand il a découvert le « village des icebergs » au Groenland, où il retournera 8 fois voir ces « immeubles déambulants » qui le fascinent…

« J’ai pris conscience de la fragilité de l’être face à cette immensité et cette beauté qu’est la nature. Et puis cette démesure, à laquelle on ne peut pas se confronter mais juste se laisser porter, se laisser gagner, se laisser séduire au niveau des yeux et du cœur. »

Au fil des années, Michel Rawicki a de plus en plus ressenti cet appel du froid qui lui a permis de découvrir aussi la flore, la faune et les hommes qui habitent ces contrées.
« L’appel du froid c’est la combinaison de la nature sauvage, les glaces en particulier, l’élément eau, la vie sauvage, les animaux et puis les humains. Les hommes qui vivent sur place là-bas et mènent une vie pas toujours facile traversent une période encore plus difficile avec les changements climatiques. »

En un peu plus de 10 ans d’expédition, entre 1992 et 2005, Michel Rawicki a vu la banquise reculer de 500 kilomètres sur la côte ouest du Groenland.

Il nous partage son expérience en quelques photos :

 

  • Groenland, Baie de Melville

Véritable moyen de transport, le chien du Groenland ou « Groenlandais » est l’une des races de chiens les plus anciennes. Des fouilles archéologiques attestent qu’il est arrivé au Groenland il y a 4000 ou 5000 ans avec les premiers Inuits. Bien souvent, leur nombre est supérieur à celui des habitants d’un village. Ils peuvent parcourir jusqu’à 130 km et ce, dans des conditions climatiques extrêmes.

Cette photo illustre un séjour au nord du Groenland, en immersion sur la banquise, au mois d’avril. C’est probablement le voyage qui m’a le plus touché, le plus marqué. A la fois à cause des contraintes liés au changement climatique, à la fois par l’immensité de la nature.

Avant, en hiver, on se déplaçait sur la banquise pour rallier un village à un autre. Là, il a fallu aller chercher très haut sur la banquise pour pouvoir faire cette traversée. Sans la glace, les déplacements sont plus longs et plus compliqués. Au Groenland il n’y a pas véritablement de route. Le moyen de locomotion pour apporter des vivres ou des objets, pour rallier un point à un autre sur la banquise, c’est le chien de traîneaux par excellence.

 

  • Russie, Sibérie, lac Baïkal

Le lac Baïkal, véritable écrin de glace, devient sculpteur de diamant durant l’hiver. Ce lac, le plus ancien du monde (25 millions d’années) représente la plus grande réserve d’eau douce sur Terre. Sa transparence est unique et la visibilité parfaite jusqu’à 40 m de profondeur.
Le lac Baïkal n’est pas lisse comme la banquise, comme on pourrait l’imaginer. Lorsque la glace prend, entre fin novembre et mi-décembre, des compressions de glace se créent naturellement avec le vent, formant une surface tourmentée, avec des sculptures éphémères de glace qui peuvent monter jusqu’à 3 mètres.

Là, en l’occurrence, je faisais du patin sur le lac. Et soudain, je vois un petit glaçon qui devait mesurer 20 centimètres de haut, tout seul perdu sur ce lac. C’était juste merveilleux, on aurait dit un diamant posé là, en cadeau. En dessous on voit la profondeur du lac, les bulles d’eau prises par la glace au moment de la glaciation de ce lac. Dans des circonstances imprévues et inhabituelles, je suis toujours très surpris par la beauté spontanée que peut nous offrir la nature.

 

  • Canada, Manitoba, Parc National de Wapusk


La Baie d’Hudson est la plus grande région polaire où les ourses mettent bas. Les premiers temps, les petits restent près de leur mère pour imiter chacun de ses gestes. On estime qu’une femelle n’élève que cinq petits au cours de son existence. Il est rare qu’une ourse puisse garder auprès d’elle ses trois oursons : souvent l’un d’eux, plus chétif que les deux autres, n’a qu’une espérance de vie limitée.
L’un des maîtres mots de la photographie, c’est la patience. Si on n’est pas patient, il vaut mieux faire autre chose ou travailler en studio. Mais dans la nature la règle qui règne est la règle des trois P : patience, pratique et persévérance. Il faut de la patience pour essayer de capter l’émotion photographique. Je ne veux pas dire une bonne photo ou une belle photo. Pour moi, ça n’a pas beaucoup de sens. C’est plus l’émotion qui me traverse alors qu’il m’intéresse de partager, d’offrir, de transmettre.

Sur cette photo, j’étais à une centaine de mètres des trois petits oursons. C’est plus ou moins la distance qu’on se doit de respecter quand on est à terre, au-delà de laquelle on ne s’avance pas. On se pose, on respecte, on attend des heures, voire des jours.

Pour cette photo-là, j’étais installé sur le toit d’un véhicule tout terrain pour être un peu en retrait et observer de haut la situation. La mère est restée avec ses petits pendant 10 minutes puis ils sont partis dans leur progression lente vers la banquise. C’est assez rare qu’il y a des triplés et souvent le plus faible des trois ne survit pas.

 

  • États Unis, Alaska, Kaktovik

Kaktovik, situé sur l’île Barter en Mer de Beaufort compte 280 habitants. Ils y ont maintenu les traditions des peuples nordiques et vivent d’une économie de subsistance fondée sur l’élevage du renne et la chasse à la baleine. C’est aussi un sanctuaire pour les ours qui, avant que la glace ne prenne, viennent se nourrir des carcasses de baleines (des quotas de chasse sont établis chaque année).

C’est également un terrain de jeux pour les oursons de presque un an qui gagnent en autonomie.

Lorsque la famille sort de la tanière en février / mars, l’apprentissage de la chasse commence pour les oursons. La mère va les accompagner et les allaiter pendant 2 ans puis ils vont se séparer.

Et la banquise est essentielle à l’ours pour qu’il puisse chasser. C’est sur la banquise que la chasse au phoque a lieu essentiellement, car dans l’eau le phoque évolue plus vite que l’ours. Si la banquise continue de fondre à cette vitesse, la situation ne fera que se compliquer pour les ours. Même s’il s’adapte bien à de nouvelles circonstances, il faut lui laisser le temps de s’adapter. La nature sait s’installer partout comme l’a si bien dit Hubert Reeves, le parrain de mon exposition sur les grilles du Luxembourg, il suffit juste de lui laisser le temps.

 

  • Canada, Ontario, région de Barrie

Le harfang des neiges est un oiseau dont l’envergure peut atteindre, chez la femelle, jusqu’à 1,80 m. Son plumage est plus blanc en hiver pour mieux se camoufler dans la neige.
Ses yeux jaunes, disposés vers l’avant sont très grands et ont environ la même taille que ceux d’un homme.

Je voulais véritablement passer du temps avec cet oiseau pour essayer de capter des images que je n’avais jamais vues au ras du sol. J’ai donc passé 15 jours allongé dans la neige, à essayer de ne pas dormir, à une température autour de -30 degrés. Je cherchais de la transparence, je cherchais ce que je n’avais jamais vu. Parfois il ne se passe rien et puis parfois je reviens avec de belles images, poétiques et émouvantes.
Tout au long des changements structurels climatiques, nous ne sommes qu’une nano seconde dans l’espace-temps de l’univers, notre vie ne représente pas grande chose. Mais pendant ce court et bref instant on se doit de protéger, d’être le plus possible en harmonie, de retransmettre. Parce que c’est aussi une nourriture pour nous, ce n’est pas que pour les yeux. Toutes ces années que j’ai passées au contact de la vie sauvage et de l’humain ont été pour moi une façon de nourrir le cœur, l’âme et les yeux. Et de partager cette expérience au fil des rencontres. Parce que c’est dans ces moments-là qu’on trouve en des ressources enfouies, qu’on trouve la paix, qu’on trouve une façon de se sentir à sa place dans cet univers.

 

  • Canada, Manitoba, Baie d’Hudson, Parc National de Wapusk

L’aurore boréale, appelée aurore australe dans l’hémisphère sud, est un phénomène lumineux caractérisé par des voiles colorés dans le ciel nocturne, le vert étant prédominant. Pour les observer, le ciel doit être dégagé. Lors d’un orage solaire accompagnant un orage magnétique et faisant suite à une éruption solaire, des particules éjectées par le soleil entrent en collision avec le bouclier que constitue la magnétosphère.

Encore une fois, la patience et la persévérance sont des notions essentielles. Ce soir-là, je me suis allongé dans la neige à 21h avec mon trépied. C’était la pleine lune, avec mes amis indiens on avait construit ces petits igloos et on attendait le moment où la « queue du renard polaire » comme les peuples Samis  de Finlande nomment les aurores boréales, décrirait dans le ciel des myriades de couleurs.

La pleine lune, l’aurore boréale et ce petit igloo symbolisent pour moi la solitude mais aussi la chaleur. Il faisait moins 38 degrés, je suis resté 2h à faire des photos, je suis allé essayer de dormir mais je suis vite revenu parce que je voulais voir le lever du jour également. J’avais envie de voir le lever du jour avec des aurores boréales et j’ai réussi à capter d’autres images. En revanche quelques temps après, je n’ai pas fait suffisamment attention, je n’ai pas été assez prudent et je n’ai pas remarqué que la partie supérieure de mon petit doigt gauche avait gelé. Quand on est en activité, excité avec l’adrénaline de cette beauté incroyable de la nature qui s’exprime, il arrive qu’on soit plus occupé à faire des réglages ou à changer de point de vue plutôt qu’à enlever ses gants pour vérifier si tout va bien. J’ai quand même récupéré une partie de mon doigt, pas complètement mais ça fait partie des risques du métier.

Cela me fait penser d’ailleurs qu’aujourd’hui je suis plus inquiet pour l’humain que pour l’animal. L’instinct animal le pousse toujours vers le meilleur endroit possible. Avec l’humain c’est plus difficile, en particulier pour les petits peuples, dont je me soucie et qui m’intéressent beaucoup. Les cultures, les habitudes de vie, les transformations… Je m’oriente de plus en plus vers le témoignage de ces peuples qui essaient de sauvegarder leur culture et leurs traditions, des choses qui nous font souvent défaut face à la modernité et à la technologie.

Pendant le premier confinement j’ai pris la décision, comme Yann Arthus-Bertrand, d’arrêter l’avion et de voyager autrement, de changer mes habitudes au profit d’un véhicule plus sobre, plus « slow ».

J’espère que mon prochain voyage sera à la découverte du peuple Sami, dans le nord de la Suède et de la Norvège. Et qu’avec ce véhicule, je pourrais passer du temps avec cette ethnie qui m’intéresse beaucoup. Là-bas, on cultive la notion d’essentiel autant pour faire son sac que pour aller trouver sa nourriture, ses vêtements… Tandis que nous cultivons ici trop souvent le superflu. Mais les mentalités sont peut-être en train d’évoluer, de changer, gardons espoir !

Pour en savoir plus à propos de l’œuvre de Michel Rawicki, rendez-vous sur : https://michelrawicki.com/